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Quel avenir pour le dollar?

Une tribune de Jean-François Serval, publiée sur le site des Echos.

Les barrières douanières ne permettront pas aux Etats-Unis de réduire leur déficit commercial et de préserver le dollar, selon Jean-François Serval. Il préconise un rééquilibrage des échanges par un accord multilatéral au temps long et la création d’un nouvel étalon monétaire.

Commerce International

Taux d’intérêts

« Une approche conflictuelle qui menace la dynamique de la croissance mondiale met à mal le billet vert » souligne Jean-François Serval. (Shutterstock)

Par Jean-François Serval (fondateur du groupe Audit Serval)

Publié le 29 avr. 2025 à 12:40Mis à jour le 29 avr. 2025 à 13:31

Le volontarisme agressif de la politique commerciale de Donald Trump se heurte aux murs de la réalité des échanges. L’Amérique ne dispose pas de l’outil industriel qui lui permettrait de remplacer les produits chinois, ou autres, par des productions locales. Ce constat, Trump l’a lui-même validé en levant les droits de douane sur des biens high-tech essentiels en provenance de Chine.

Des enjeux commerciaux et monétaires contradictoires

La volonté d’un rééquilibrage des échanges est légitime, la méthode par le levier des barrières douanières est déplorable. Une approche conflictuelle qui menace la dynamique de la croissance mondiale et met à mal le billet vert ; elle invalide par là même l’enjeu monétaire du projet de reconquête commerciale des conseillers de Donald Trump qui vise à modifier les parités de change par une baisse maîtrisée du dollar. Les annonces intempestives en provenance de Washington ébranlent un équilibre monétaire fragile qui affecte la relative stabilité du dollar et pose la question cruciale du refinancement de la dette des Etats-Unis. La perte de confiance des marchés financiers dans le billet vert est un enjeu vital pour le soft power américain.

Seule une augmentation de la richesse créée permettra un remboursement maîtrisé de la dette, dans un temps long qui échappe aux chocs conflictuels.

L’Amérique poursuit deux objectifs désormais contradictoires ; réduire son déficit commercial et préserver le privilège exorbitant de sa devise, afin d’échapper à la dérive fatale de la dette. Les Etats-Unis ne règnent plus en maître absolu sur l’ordre économique international dans un monde multipolaire et globalisé où créanciers et débiteurs se tiennent réciproquement. En privilégiant la voie du conflit commercial, le gouvernement actuel a lui-même mis en exergue les limites de la puissance de son pays. C’est d’abord à un choix politique face à elle-même auquel l’Amérique est désormais confrontée : celui d’accepter la relativité de sa puissance, et donc du symbole qui l’incarne, le billet vert.

Viser le compromis pour rééquilibrer les échanges

Rebâtir une économie industrielle compétitive est aussi une affaire de temps, une décennie au mieux ; ce temps nécessaire au traitement de déséquilibres massifs ne peut être gagné que par une négociation internationale sur les parités monétaires et le remboursement de la dette.

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Le principe de réalité de la géoéconomie contemporaine, hors les logiques guerrières, plaide pour un accord multilatéral entre les principaux acteurs économiques pour permettre un réajustement coordonné des parités monétaires afin d’accompagner un rééquilibrage des échanges et bâtir des projets créateurs de valeur. Seule une augmentation de la richesse créée permettra un remboursement maîtrisé de la dette, dans un temps long qui échappe aux chocs conflictuels. En toute logique, l’ensemble des partenaires devrait pouvoir accepter cette réalité de compromis.

Un nouvel étalon monétaire

La recherche d’un ordre monétaire stabilisé est au coeur de notre réflexion sur la réforme monétaire. Le rapport entre la création de richesse et la dette n’est pas suffisamment encadré par les banques centrales, en l’absence d’un étalon qui permettrait de garantir une stabilité utile des fonctions économiques que sont les coûts de production, l’épargne et la consommation. Le dollar, depuis l’abandon de son ancrage sur l’or, a fait perdre cette garantie de stabilité du cadre monétaire des échanges ; l’instabilité du billet vert agissant en dehors de la logique intrinsèque de l’offre et de la demande dans l’évaluation d’un bien.

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Il est souhaitable, selon nous, que l’étalon, contrairement au dollar, ne soit pas lié à un système porteur de dettes afin que le jeu des taux d’intérêt puisse évoluer librement en fonction des lois du marché. Dans l’environnement technologique actuel, nous sommes favorables à la création d’un étalon cryptographique ; une création monétaire virtuelle, crée et gérée par une institution internationale qui représenterait les grandes banques centrales, responsables en dernier ressort de la stabilité des parités.

Une gestion des équilibres par les parités de change bien plus pertinente dans ses effets correcteurs que l’utilisation abusive de l’arme des barrières douanières qui vient de montrer, à la face du monde, ses évidentes lacunes.

Jean-François Serval est président de Groupe Audit Serval & Associés et l’auteur de « Innovations financières et réforme monétaire, ou comment sortir du piège de la dette » (Lextenso, 2022).

Jean-François Serval

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