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Un article de Jean-François Serval sur le site des Echos à propos du dollar et la dette US

Tribune

« La politique désordonnée de Donald Trump a précipité les déséquilibres du système économique mondial »

La dette américaine bouleverse l’ordre économique mondial. L’euro bénéficie d’une baisse des taux favorable à son économie et un monde post-dollar se dessine. Une réflexion sur un nouvel étalon monétaire s’impose, estime Jean-François Serval, président de Groupe Audit Serval & Associés.

Le vote récent par le Congrès du « One big beautiful Act » de Donald Trump, amplifie la dynamique de la dette, analyse Jean-François Serval. (Piroschka Van De Wouw/Reuters)

Publié le 8 juil. 2025 à 12:30Mis à jour le 8 juil. 2025 à 13:10

Comme un chien dans un jeu de quilles, la politique désordonnée de Donald Trump a précipité les déséquilibres d’un système économique mondial dont les fragilités étaient bien identifiées. La question monétaire est au cœur de cet édifice instable, avec une dette globale hors de tout contrôle.

Nous l’avions évoqué dans ces mêmes colonnes, la vraie question est de savoir comment la Réserve fédérale américaine va à l’avenir refinancer la dette nationale ? Les marchés obligataires sont de plus en plus tendus et les bons du Trésor américain ont du mal à trouver preneur, alors qu’un tiers de la dette américaine doit être refinancé dans les 12 prochains mois. Cette situation est d’autant plus critique que, dérive de la dette aidant, la concurrence pour placer des titres est de plus en plus rude. Le Japon, traditionnellement grand acheteur de titres américains, peine à placer son propre papier. Fin mai, c’est une adjudication de bons du Trésor à 20 ans qui a eu le plus grand mal à trouver preneur, au prix d’une hausse sensible de leur taux.

Le vote récent par le Congrès de l’ambitieux projet de loi budgétaire, le « One big beautiful Act » de Donald Trump, amplifie la dynamique de la dette.

Le retour de l’Europe

Ce désordre « made in USA » ravive les craintes inflationnistes outre-Atlantique, sur fond de pression constante sur le coût du travail. Les marchés financiers répercutent logiquement cette défiance à l’égard de l’économie américaine. Spectaculaire retournement de situation : il y a 6 mois à peine, le thème dominant était la crainte de voir les industries européennes partir de l’autre côté de l’Atlantique, face à l’offensive productiviste de la nouvelle administration Trump ; aujourd’hui, les grands fonds d’investissement se redéployent vers l’Europe, avec un taux, pour le nouveau cash, de 50 % vers l’Europe et 40 % pour les Etats-Unis, contre des volumes auparavant de 60 % outre-Atlantique et 30 % vers l’Europe. Conséquence logique de cette nouvelle orientation, le billet vert a perdu plus de 10 % de sa valeur depuis le début de l’année.

Les marchés obligataires traduisent ce retour en grâce relatif de l’Europe face aux incertitudes américaines. La demande sur le franc suisse, valeur refuge comme l’or, s’est traduite par une baisse récente du taux directeur de la Banque nationale suisse (BNS) ramené à 0 % ! L’euro de son côté, à l’encontre du dollar, peut bénéficier d’un mouvement de baisse des taux, favorable à son économie. Le monde se fractionne en grandes zones monétaires.

Les flux d’échanges internationaux connaissent de profonds changements, engendrant des déséquilibres qui affectent les balances commerciales et celles des paiements des pays les moins compétitifs. C’est à ces déséquilibres que le gouvernement américain a voulu s’attaquer en mettant en avant des droits de douane qui ont mécaniquement aggravé la situation économique des pays les plus fragiles, dont les Etats-Unis, en ralentissant la croissance par des hausses des prix. Les taxes douanières sont alors devenues, comme l’a analysé la Banque mondiale, « une sorte d’impôt » sur une chaîne de valeur totalement internationalisée et intégrée. Le ralentissement des échanges représente désormais un risque majeur pour l’économie mondiale, sur fond de crise géopolitique.

Penser un nouvel étalon monétaire

L’enjeu de la dette américaine et l’avenir du dollar campent un horizon de crise systémique qui façonne la perception actuelle des marchés. Jusqu’où le dollar peut-il glisser, est-il en train de perdre irrémédiablement son rôle d’étalon par défaut, avec lequel l’économie monde a fonctionné durant six décennies ?

Le mouvement de désengagement de la devise américaine vers l’euro, n’a pas encore touché les investissements passés. Si les investisseurs venaient à se désengager de leurs stocks en dollar, l’effondrement possible du billet vert menacerait alors la dynamique des échanges, en l’absence d’une devise pour compenser les soldes. Le monde post-dollar qui se dessine ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur la mise en œuvre d’un nouvel étalon afin d’asseoir la stabilité d’un nouveau système monétaire à bâtir.

Jean-François Serval est président de Groupe Audit Serval & Associés et auteur de « Innovations financières et réforme monétaire, ou comment sortir du piège de la dette » (Lextenso, 2022).

                                                                                                                                     

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